• Chapitre Un

     

     

    Neferet

     

      

       

    Un troublant sentiment d'irritation réveilla Neferet. Avant qu'elle ne quitte pour de bon cet état particulier, entre rêve et réalité, ses longs doigts élégants cherchèrent Kalona. Elle toucha un bras musclé à la peau lisse, ferme et agréable. Cette caresse légère comme une plume suffit : l'homme remua et se tourna vers elle avec empressement.

    — Ma déesse ?

    Sa voix était rauque de sommeil et de désir. Il l'agaçait.

    — Laisse-moi, Kronos.

    Il lui avait fallu un moment pour se souvenir de son nom ridicule et prétentieux.

    — Déesse, qu'ai-je fait pour vous déplaire ?

    Elle lui jeta un coup d'oeil. Le jeune Fils d'Érebus allongé à côté d'elle avait un beau visage ouvert, enthousiaste, des yeux aigue-marine aussi frappants à la lueur de la bougie que la veille, en plein jour, quand elle l'avait vu s'entraîner dans la cour du château. D'un seul regard aguicheur elle l'avait attiré à elle. Il avait essayé de lui prouver qu'il n'y avait pas que son nom de divin : en vain, malgré sa bonne volonté...

    Le problème, c'était que Neferet, ayant partagé la couche d'un immortel, ne savait que trop bien que Kronos était un imposteur.

    — Respirer, dit-elle en lui lançant un regard ennuyé.

    — Respirer, déesse ?

    Il plissa le front, orné d'un tatouage censé représenter des massues cloutées, mais qui, aux yeux de Neferet, évoquait plutôt des feux d'artifice.

    — Tu as demandé ce que tu avais fait pour me déplaire, et voici ma réponse : tu respires.

    Bien trop près de moi, qui plus est. Il est temps que tu quittes mon lit.

    Elle soupira et claqua des doigts.

    — Va-t'en. Maintenant !

    Elle faillit éclater de rire en voyant son expression choquée et blessée. Ce gamin avait-il vraiment cru qu'il pourrait remplacer son consort divin ? Son impertinence attisait sa colère.

    Dans les coins de sa chambre, des ombres palpitaient, impatientes. Même si elle feignait de les ignorer, elle sentait leur agitation, et cela lui plaisait.

    — Kronos, tu m'as changé les idées, et pendant un bref moment tu m'as donné un peu de plaisir.

    Elle le toucha de nouveau, moins délicatement cette fois, et ses ongles laissèrent des traces de griffures sur son avant-bras. Il ne sursauta pas, ne retira pas son bras. Il frissonna et sa respiration s'accéléra. Neferet sourit. Elle avait su au moment même où son regard avait croisé le sien que ce garçon avait besoin de souffrir pour ressentir du désir.

    — Je te donnerais plus de plaisir encore si tu le permettais, dit-il.

    Elle esquissa un sourire et s'humecta lentement les lèvres alors qu'il la dévisageait avec espoir.

    — Une autre fois, peut-être. Pour l'instant, je veux que tu t'en ailles et, bien entendu, que tu continues de me vénérer.

    — Et si je te montrais à quel point j'ai envie de te vénérer ? suggéra-t-il d'une voix caressante.

    Il commit alors l'erreur de tendre la main vers elle.

    Comme s'il avait le droit de la toucher.

    Comme si elle était soumise à ses besoins !

    Un écho du passé de Neferet - une époque qu'elle pensait avoir enterrée avec son humanité - des souvenirs ensevelis remontèrent à la surface. Elle sentit les doigts de son père et même son haleine fétide, imbibée d'alcool, tandis que son enfance envahissait l'instant présent.

    Sa réaction fut instantanée. Elle leva la main et la tendit, paume ouverte, vers les ombres maléfiques.

    L'Obscurité répondit à son appel encore plus rapidement que Kronos. Elle sentit sa froideur mortelle et se délecta de cette sensation, d'autant plus qu'elle repoussait les souvenirs qui affluaient par vagues. D'un geste nonchalant, elle répandit l'Obscurité sur Kronos.

    — Si c'est de la souffrance que tu veux, alors goûte à mon feu glacial.

    L'Obscurité pénétra aussitôt la peau lisse du combattant, découpant des rubans écarlates sur son avant-bras.

    Il poussa un gémissement, plus de peur que de passion.

    — Maintenant, obéis-moi. Laisse-moi. Et n'oublie pas, jeune combattant, une déesse choisit quand, où et comment elle veut être touchée. Ne te prends plus jamais de telles libertés.

    Agrippant son bras en sang, Kronos se leva et s'inclina très bas devant Neferet.

    — Oui, ma déesse.

    — Quelle déesse ? Sois plus précis, combattant ! Je refuse qu'on me donne un titre ambigu.

    — Nyx Incarnée, répondit-il sur-le-champ. Tel est votre titre, ma déesse.

    Le regard de Neferet s'adoucit, et son visage se détendit.

    — Très bien, Kronos. Très bien. Tu vois comme il est facile de me plaire ?

    Pris au piège de son regard émeraude, Kronos hocha la tête, puis posa le poing sur son coeur.

    — Oui, ma déesse, ma Nyx.

    Sur ce, il sortit à reculons de la chambre.

    Neferet sourit. Peu lui importait de ne pas être réellement l'incarnation de Nyx. À vrai dire, cela ne l'intéressait pas de jouer ce rôle.

    — Car cela revient à être moins qu'une déesse, dit-elle aux tentacules du mal qui l'entouraient.

    Le plus important, c'était le pouvoir - et si le titre de Nyx incarnée l'aidait à l'acquérir, en particulier auprès des Fils d'Érebus, elle s'en accommoderait.

    — Mais j'aspire à plus, à beaucoup plus que me tenir dans l'ombre d'une déesse.

    Bientôt, elle serait prête à passer à l'étape suivante, et elle se savait capable de manipuler certains Fils d'Erebus pour qu'ils restent à ses côtés. Oh, pas suffisamment pour lui faire gagner la bataille, mais assez pour affaiblir le moral des combattants en les dressant les uns contre les autres. «Les hommes, pensa-t-elle avec dédain, si facilement dupés par le masquede la beauté et par les titres, si facilement utilisés

    A  mon avantage !»

    Réjouie par cette pensée, elle quitta le lit, enfila un peignoir en soie et sortit dans le couloir. Sans même y penser, elle se dirigea vers l'escalier conduisant dans les entrailles du château.

    Des ombres profondes la suivaient, aimants noirs attirés par son agitation grandissante. Elle savait qu'elles étaient dangereuses, et qu'elles se nourrissaient de son malaise, de sa colère, des tourments de son esprit. Mais, bizarrement, elle trouvait du réconfort dans leur présence.

    Elle ne s'arrêta qu'une seule fois en chemin. «Pourquoi vais-je encore le voir ? Pourquoi estce que je lui permets d'envahir mes pensées ce soir ?» Elle secoua la tête comme pour chasser ces questions et s'adressa à l'Obscurité qui flottait autour d'elle, attentive, dans l'escalier vide et étroit.

    — J'y vais parce que j'en ai envie. Kalona est mon consort. Il a été blessé alors qu'il était à mon service. Il est naturel que je pense à lui !

    Avec un sourire satisfait, elle se remit en marche, ignorant la vérité : Kalona avait été blessé parce qu'elle l'avait piégé, et l'avait forcé à lui obéir.

    Elle atteignit le cachot creusé des siècles auparavant dans la terre rocheuse de l'île de Capri et s'engagea en silence dans le couloir éclairé par des torches. Le Fils d'Érebus qui montait la garde devant la pièce munie de barreaux ne parvint à cacher sa surprise. Le sourire de Neferet s'élargit. Ce regard choqué, teinté de peur, lui disait qu'elle arrivait de mieux en mieux à donner l'impression d'émerger comme par magie de la nuit et des ténèbres. Voilà qui allégeait son humeur, mais pas au point de tempérer par la douceur d'un sourire les notes cruelles de sa voix impérieuse.

    — Va-t'en. Je veux être seule avec mon consort.

    Le Fils d'Érebus n'hésita qu'un instant, mais cette pause suffit pour que Neferet décide qu'il serait bientôt rappelé à Venise. Peut-être à cause d'une urgence concernant un de ses proches...

    — Prêtresse, je vous laisse à votre intimité. Mais sachez que je resterai à portée de votre voix pour répondre à votre appel en cas de besoin.

    Sans croiser son regard, il posa son poing sur le coeur et s'inclina - pas assez bas, à son goût. Elle le regarda s'éloigner dans le couloir étroit.

    — Oui, murmura-t-elle, je sens qu'un malheureux accident va frapper sa compagne...

    Elle lissa son peignoir et se tourna vers la porte en bois fermée. Elle inspira profondément l'air humide du cachot, puis repoussa ses épais cheveux acajou qui lui tombaient devant le visage, se préparant à utiliser sa beauté comme une arme au combat qui l'attendait. Elle agita la main, et la porte s'ouvrit toute seule.

    Kalona était étendu à même le sol en terre battue Elle ne lui avait pas accordé de lit. Il avait une mission à terminer; si son corps recouvrait trop de sa force immortelle, il serait distrait. Or il avait juré de lui servir d’épée dans l'Au-delà pour les débarrasser des ennuis que Zoey Redbird leur avait causés dans cette réalité.

    Neferet s'approcha de lui. Il était allongé sur le dos, nu, couvert seulement par ses ailes d'onyx comme par un voile. Elle tomba gracieusement à genoux, puis s'étendit près de lui sur l'épaisse fourrure qu'elle avait fait placer à ses côtés pour son propre usage.

    Elle soupira et toucha le visage de Kalona. Sa chair était froide, comme toujours, mais sans vie. Il ne réagit pas à sa présence.

    — Qu'est-ce qui te retient là-bas aussi longtemps, mon amour ? Pourquoi ne peux-tu pas disposer plus rappidement de cette gamine agaçante ?

    Elle le caressa encore ; cette fois, sa main glissa sur son cou, sur sa poitrine et s'attarda sur les muscles saillants de son abdomen.

    — Rappelle-toi ton serment, et remplis-le, que je puisse de nouveau t'ouvrir mes bras et mon lit. Par le sang et l'Obscurité, tu as juré d'empêcher Zoey Redbird de retrouver son corps, et ainsi de la détruire, pour que je puisse diriger ce monde moderne.

    Elle passa un doigt sur la taille mince de l'immortel en souriant.

    — Bien sûr, tu seras à mes côtés quand je serai au pouvoir.

    Invisibles pour les Fils d'Érebus censés l'espionner pour le compte du Conseil Supérieur, les fils noirs et arachnéens qui emprisonnaient Kalona frémirent et effleurèrent la main de Neferet de leurs tentacules glaciaux. Se laissant distraire un instant par leur contact attirant, elle ouvrit sa paume et laissa l'Obscurité s'enrouler autour de son poignet, couper légèrement sa chair - sans lui causer de souffrance insupportable -, juste assez pour satisfaire son éternelle faim de sang.

     

     


  • Commentaires

    2
    StarKZoey Profil de StarKZoey
    Mardi 29 Janvier 2013 à 11:48

    j'ai juste trop hate de lire la suite!!! vivement qu'il sorte!!

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    1
    clem1 Profil de clem1
    Mardi 27 Novembre 2012 à 20:00

    wow ! c'est exelent j'ai hate d'avoir la suite !

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