• Medusa descendit de sa jument et s'agenouilla près d'elle.

    — Sais-tu monter à cheval ? Il nous reste très peu de temps. La ville est en feu.

    — Laissez-moi. Je veux me consumer avec elle. Je veux brûler avec lui.

    Les yeux de Medusa s'emplirent de larmes.

    — Martin est mort ?

    — Et moi aussi, lâcha Lenobia. Sa mort m'a tuée.

    Elle sentit l'insoutenable absence de Martin creuser en elle un abîme de détresse. Dans un long sanglot plaintif, elle se roula en boule.


    votre commentaire
  • Sans hésiter une seconde, Martin la souleva et traversa les écuries en feu d'une seule traite.

    L'air doux et humide de la rue frappa Lenobia de plein fouet. Martin, mortellement brûlé, chancelant, la laissa tomber à terre. Dans son visage carbonisé, Lenobia ne reconnut que ses yeux vert olive.

    — Non, Martin ! Non !

    — Trop tard, chérie.  Mais on se retrouvera, car mon amour pour toi ne s'achève pas ici : il est immortel.

    Elle tenta de se mettre debout, de lui prendre les mains, mais elle était si faible qu'elle ne pouvait faire le moindre geste.

    Soudain, la silhouette de l'évêque se dessina derrière le mourant.

    — Crève ! Et laisse-moi ma petite bâtarde.

    Les yeux du jeune homme cherchèrent ceux de Lenobia.

    — J'aimerais tant rester auprès de toi ! Hélas, c'est impossible. On se retrouvera, chérie,  je te le promets.

    — Je t'en prie, reste ! Je ne peux pas vivre sans toi, supplia Lenobia.

    — On se retrouvera, répéta-t-il. Mais, avant de partir, j'ai une dernière chose à régler. À bientôt, chérie.  Je t'aimerai toujours.

    Sur ce, Martin se tourna vers l'évêque.

    — Toujours vivant ? ironisa celui-ci. Plus pour longtemps !

    Martin tituba vers lui en récitant lentement son incantation.

    Elle m'appartient, et à elle je suis !

    De ma fidélité et de mon honnêteté

    Ce sang sera la preuve !

    Ce que vous lui faites sera vain.

    Que votre sort se retourne contre vous.

    Recouvrant comme par miracle un peu de sa vigueur, il souleva le prélat et l'entraîna avec lui dans le brasier infernal.

    — Martin !

    Le hurlement de Lenobia fut noyé dans les hennissements de panique des chevaux et les cris des gens qui sortaient dans la rue en appelant à l'aide.

    Au milieu de cette agitation, Lenobia sanglotait, recroquevillée dans la nuit.


    votre commentaire
  • Elle pressa le pas pour rattraper le groupe, mais elle trébucha sur une petite boule de poils.

    Une main puissante l'attrapa par le coude et la redressa. Lenobia se trouva face à un regard bleu comme un ciel de printemps et un magnifique visage orné d'un tatouage de plumes entrelacées qui semblait venir d'un autre monde.

    — Toutes mes excuses, mademoiselle. Mon chat n'en fait qu'à sa tête... dit la femme en lui souriant. Il a fait tomber des gens bien plus vigoureux que vous.

    — Je suis plus vigoureuse que j'en ai l'air, s'entendit répondre Lenobia d'une voix rocailleuse.

    — Tant mieux ! fit la femme avant de lâcher le bras de Lenobia et de s'éloigner, suivie d'un chat tigré gris à la queue hérissée.

    En passant devant les jeunes filles, la femme jeta un coup d'oeil à l'abbesse avant d'incliner la tête avec respect.

    — Bonsoir, abbesse.

    — Bonsoir, prêtresse, répondit la religieuse.

    — Cette créature est un vampire ! s'exclama l'évêque au moment où la superbe femme relevait la capuche de sa cape noire et disparaissait dans les ténèbres.

    — Oui, en effet, fit l'abbesse. Lenobia eut un sursaut de surprise.

    Bien sûr, elle avait déjà entendu parler de vampires : il en existait tout un bastion non loin de Paris. Mais il n'y eu avait aucun en Auvergne, et le baron n'en avait jamais reçu, contrairement à d'autres nobles, plus excentriques. Lenobia, qui regrettait de ne pas avoir contemplé le vampire plus longtemps, fut tirée de ses pensées par la voix outrée de l'évêque.


    votre commentaire
  • — Je ne veux pas de paradis, Martin. Je ne veux que t...

    — Non ! s'écria-t-il en posant un doigt sur les lèvres de la jeune fille. Tu n'as pas le droit de dire ça. J'ai le coeur bien accroché, mais pas assez pour résister à tes paroles.

    Lenobia lui prit la main. Elle était chaude, rugueuse, familière.

    — Je veux juste que ton coeur m'écoute.

    — Chérie, mon coeur t'a déjà entendue. Seul le silence a le droit de s'exprimer entre nous.

    — Mais... je veux plus que ça !

    — Moi aussi, mais c'est impossible. Cécile, toi et moi, on ne peut pas être ensemble.

    C'était la première fois qu'il l'appelait Cécile. Cela la surprit tant qu'elle lui lâcha la main et recula. «Il croit que je suis Cécile, la fille légitime d'un baron. Dois-je tout lui avouer ? Cela changerait-il quelque chose entre nous ?»

    — Je vais y aller, balbutia-t-elle, bouleversée, en faisant un pas en direction de la sortie. La voix de Martin s'éleva derrière elle.

    — Ne reviens plus, chérie.

    Lenobia jeta un coup d'oeil par-dessus son épaule.

    — Tu ne veux plus me voir ?

    — Ce serait mentir..., dit-il.

    Soulagée, elle poussa un long soupir.

    — Alors, si, je reviendrai demain. À l'aube. Car rien n'a changé.

    Tandis qu'elle reprenait son chemin, il murmura :

    — Si, tout a changé, ma chérie...


    votre commentaire
  •       Elle avait tellement hâte de retrouver les chevaux ! Car ses excursions matinales n'avaient, bien entendu, aucun rapport avec les épaules musclées de Martin, son sourire, ses yeux verts, ni avec la manière dont il la taquinait et la faisait rire...

       — Les percherons ne mangeront jamais le pain que tu leur as apporté. Personne n'en voudrait, d'ailleurs, dit-il le lendemain de sa première visite.

         Lenobia fronça les sourcils.

      — Bien sûr que si ! Il est très salé, et les chevaux raffolent du sel.

         Les paumes à plat, elle tendit le pain rassis aux deux hongres. Ils le reniflèrent, puis, avec une délicatesse étonnante, prirent chacun un morceau et le mâchèrent en agitant la tête. Martin et Lenobia éclatèrent de rire.

     


    votre commentaire